Vasubandhu, (env. IVe–Ve siècles), moine bouddhiste gandharais, est l’un des fondateurs de l’école yogācāra avec son demi-frère Asanga et Maitreyanatha. Il est également le vingt-et-unième patriarche du Chan ou du zen. Il est souvent considéré comme un bodhisattva.
Le terme sanskrit Vasubandhu signifie littéralement la bonne parenté, vasu bon ou excellent, et bandhu parenté. D'où est issu son nom traduit en chinois Shiqin (Shìqīn 世親 parenté de génération en génération) ou Tianqin (Tiānqīn 天親 parenté céleste), son nom chinois de la transcription phonétique Poxiupantou (póxiūpántóu 婆修盤頭), ou Posoupandou (pósǒupándòu 婆藪槃豆) ou Fasupandu (fásūpándù 筏蘇槃度) n'est quasiment plus utilisé. Son nom en tibétain est dbyig gnyen.
Ses écrits, dont le plus important est le Trésor de l’Abhidhamma (Abhidharmakosha), traduits en chinois et en tibétain, ont exercé une influence importante sur les bouddhismes mahāyāna et vajrayāna.
Les sources concernant la vie de Vasubandhu sont la biographie rédigée par Paramārtha (Zhēndì 真諦 499-569), représentant de l’école yogācāra en Chine (Pósǒupándòu fǎshī zhuàn 《婆藪槃豆法師傳》), le Dàtáng xīyóujì (《大唐西遊記》) relatant le voyage de Xuanzang (Xuánzàng 玄奘 600-664), ainsi que les auteurs tibétains Taranatha et Bu-ston ; ces sources concordent rarement dans les détails.
Les dates de sa naissance et de sa mort sont incertaines. Indiquées selon la tradition bouddhiste en années écoulées depuis le parinirvâna du Bouddha, date variable selon les traditions, elles peuvent présenter cent à deux cents ans de différence chez le même auteur suivant les passages. Il serait donc né au plus tôt au milieu du IIIe siècle et au plus tard au début du Ve siècle. Tous, par contre, s’accordent à le faire mourir à quatre-vingts ans.
Vasubandhu serait né à Puruşapura (actuelle Peshawar) dans le Gandhâra. Les sources tibétaines relatent une version probablement symbolique de ses origines, qui fait de sa mère une nonne du nom de Prasannashila. Consciente de vivre dans une période de déclin du bouddhisme et mue par le désir de contribuer à son maintien, elle aurait abandonné le célibat pour mettre au monde deux fils, Asanga né d’un roi (caste des kshatriyas), puis Vasubandhu né d’un brahmane, alors qu’Asanga était déjà moine ou novice. Ils auraient de plus un jeune frère du nom de Virinchivatsa. Selon les sources chinoises, Vasubandhu et Asanga sont tous deux des brahmanes de gotra (nom de famille) Kaushika, et leur mère se nomme Virinchi.
Il entra tout d’abord dans l'école Sarvastivada (Sarvāstivāda ou Vaibhashika), la mieux implantée au Gandhara, dont le centre se trouvait au Cachemire. On lui connait deux maîtres importants : Manoratha et Buddhamitra, ce dernier mentionné par le seul Paramārtha. C’est en tout cas Manoratha qui l’aurait introduit aux idées de l’école Sautrāntika, fondamentalistes qui rejetaient tout ce qui leur semblait surimposé au discours originel du Bouddha, et jugeaient absurde et ridicule la philosophie des sarvāstivādins.
Vasubandhu se serait alors rendu au Cachemire pour s’informer à la source. À son retour, il aurait entamé un examen général des concepts sarvāstivādin, les expliquant le jour à des élèves, et composant le soir un verset (karika) récapitulant son enseignement de la journée. C’est ainsi qu’il rédigea le Trésor de l’Abhidharma (Abhidharmakośa), à Ayodhya dans l’actuel Uttar Pradesh, ou dans les environs de Puruṣapura selon le Dàtáng xīyóujì. La tradition prétend que les sarvāstivādins, enchantés de voir leurs théories si brillamment exposées, lui en auraient commandé le commentaire (Abhidharmakośabhāṣya), avant de déchanter en constatant que Vasubandhu critiquait systématiquement leurs idées selon le point de vue sautrantika. Ils rédigèrent par la suite moult traités pour le contrer.
Il aurait ensuite passé plusieurs années à circuler de place en place accompagné de ses maîtres. Il serait ainsi passé à Shakala qui pourrait être Sialkot au Pakistan. Il aurait bénéficié de la faveur de deux souverains Gupta, nommés Vikramāditya et Balāditya, qui pourraient être Skandagupta (r.455-467) et Narasimhagupta (r. 467-473) si une date de naissance tardive est admise. C’est à Ayodhya que son frère, déjà gagné à la pensée mahāyāna, l’aurait converti, s’appuyant en particulier sur l’Akṣayamati nirdeśa-sūtra et le Daśabhūmika sūtra (Sūtra des dix terres). Vasubandhu rejoignit donc le yogācāra. Auparavant, prétendent les sources, il n’aurait eu que dédain pour les théories d'Asanga. Le tibétain Bu-ston lui prête cette réflexion : « Pauvre Asanga, il a médité dans la forêt pendant douze ans et n’en a rien retiré, c’est pourquoi il a inventé un système si lourd et encombrant que seul un éléphant pourrait le porter ! ».
Il écrivit par la suite des commentaires de textes mahāyāna et des traités yogācāra, tout en participant à de nombreux débats dans lesquels il excellait. Sur la fin de sa vie, il les abandonna pour se consacrer exclusivement à la méditation. Il mourut à quatre-vingts ans, à Ayodhya ou dans l’actuel Népal selon les sources.
La tradition lui attribue cinq cents textes hīnayāna et cinq cents mahāyāna, mais seuls quarante-sept sont connus, dont neuf en sanscrit, vingt-sept en chinois et trente-trois en tibétain.
Vasubandhu est considéré comme le philosophe yogācāra dont les textes ont exercé la plus grande influence sur les branches chinoises du courant :
Francis Tiso (né le à New York) est un enseignant, écrivain et prêtre catholique américain. Il s’est spécialisé dans les études bouddhistes tibétaines qu'il enseigne à l'université pontificale grégorienne (Universita' Pontificia Gregoriana : Istituto di Studi Interdisciplinari su Religioni e Culture) à Rome. Il a traduit des biographies du yogi et poète tibétain Milarépa (Milarepa. Liberation in One Lifetime, 2014) et dirigé des expéditions de recherche en Asie du Sud, au Tibet et en Extrême-Orient. Il est particulièrement connu pour son ouvrage Corps arc-en-ciel et résurrection portant sur le phénomène du corps arc-en-ciel (tibétain : འཇའ་ལུས, Wylie : 'ja' lus, THL : jalu). Ses enseignements portent sur la théologie et l’histoire chrétiennes, la spiritualité contemplative et le dialogue interreligieux. Résidant depuis plus de vingt ans en Italie, il est un membre actif de l’institut Mind and Life en Europe fondé par le 14e dalaï-lama en vue de collaborer avec des scientifiques occidentaux,.
Francis Tiso est né à New York. Il a suivi des études médiévales à l'université Cornell, obtenu une maîtrise en théologie (cum laude) de l'université Harvard et un doctorat de l'université Columbia et de l'Union Theological Seminary en études bouddhistes. Il a été affecté à l'archidiocèse de San Francisco en tant que vicaire paroissial de l'église St. Thomas More, mais aussi en tant qu'aumônier de l'université d'État de San Francisco et de la faculté de médecine de l'université de Californie. Il a été professeur invité à l’École archidiocésaine de leadership pastoral, où il a enseigné la théologie fondamentale. Il a enfin été vicaire paroissial à Eureka et à Mill Valley, en Californie,.
En 1995, Francis Tiso a accompagné le cardinal Francis Arinze, alors chef du Conseil pontifical pour un dialogue interreligieux, lors d'un dialogue avec des dirigeants bouddhistes de Taïwan. Tiso a beaucoup voyagé en Asie, en particulier en Inde, au Népal, au Tibet, en Thaïlande, au Japon et au Bangladesh. Il a été directeur associé du Secrétariat aux affaires œcuméniques et interreligieuses de la Conférence des évêques catholiques des États-Unis de 2004 à 2009, où il a assuré les relations avec plusieurs traditions : l'islam, l'hindouisme, le bouddhisme, les sikhs ainsi qu'avec les confessions réformées,.
Il poursuit ses activités de dialogue inter-traditionnel en les ayant étendues auprès d'un large spectre de scientifiques occidentaux dans la cadre du Mind and Life Institute en Europe, fondé par le dalaï-lama, et dont Francis Tiso est un contributeur et membre actif, siégeant au conseil d'administration (Board Members).
Après son diaconat en 1987, il a été ordonné prêtre le 19 mai 1988 du diocèse catholique romain d'Isernia-Venafro, en Italie, où il a ensuite été le prêtre de la paroisse Saint-Michel de Fornelli (IS), et ce, jusqu'en 2015. Il est dorénavant prêtre adjoint de la paroisse Saint-Joseph d'Isernia et prend soin de nombreux migrants arrivant en Europe, en leur offrant logement et cours de langue, les assistant dans leurs démarches administratives, etc. Il a aussi occupé la fonction de délégué diocésain aux affaires œcuméniques et interreligieuses de 1990 à 1998 et de recteur de l'Istituto Diocesano delle Scienze Religiose. Il a également tenu le rôle d'aumônier de l'Ermitage des Saints Côme et Damien à Isernia de 1988 à 1998,.
Francis Tiso a enseigné le bouddhisme tibétain à l'université pontificale grégorienne de Rome et il était professeur invité à l'université de Rome « La Sapienza », Département d'études orientales. En 1984-1985, il a été professeur assistant à l'université Columbia à New York. Il est récipiendaire de bourses de l'American Academy of Religion, de l'American Philosophical Society, du Palmers Fund en Suisse et de l'Institut des sciences noétiques de Petaluma, en Californie. De 2005 à 2008, il a été rédacteur en chef du Journal of the Society for Buddhist-Christian Studies. Francis Tiso pratique également la musique et peint à l'acrylique et à l'aquarelle,.
Outre ses livres et articles sur Milarépa et le corps arc-en-ciel, il a également étudié la présence possible de communautés chrétiennes au Tibet et dans l'Himalaya, sur les Routes de la soie. Il séjourne encore fréquemment à Kathmandu, réalise des retraites de méditations avec des enseignants bouddhistes et bönpo, et est invité dans de nombreux centres du bouddhisme tibétain pour partager son expérience et ses recherches, tant que le corps arc-en-ciel que sur la spiritualité et mystique chrétienne.
Jacques May, né le 19 juin 1927 à Aigle et mort le 22 mars 2018 à Lausanne, est un orientaliste philologue et philosophe suisse, spécialiste bouddhisme du grand véhicule, et en particulier du courant Madhyamika. Il a été membre de l’École française d'Extrême-Orient, rédacteur en chef du dictionnaire Hôbôgirin, et professeur à l'Université de Lausanne.
Ses travaux ont principalement porté sur le philosophe et logicien indien Nagarjuna et son commentateur Chandrakîrti. Jacques May s'est attaché à montrer que le madhyamika n'est pas un nihilisme, mais une voie moyenne entre le réalisme et le nihilisme.
Jacques May joua également un rôle important dans le développement des études bouddhistes en Suisse.
Jacques Samuel Philppe May est né en 1927, à Aigle dans le canton de Vaud. Son père, René Samuel Martin est ingénieur civil, diplômé de l’École polytechnique fédérale de Lausanne. Sa mère est Eugénie Rubattel. Tant dans la famille paternelle que maternelle, on compte des gens qui furent des personnalités importantes de la vie vaudoise et suisse. Parmi les ascendants du côté maternel, on compte deux conseillers fédéraux : Ernest Chuard et Rodolphe Rubattel. On notera incidemment que René May avait fait une partie de sa scolarité primaire avec le futur sinologue Paul Demiéville.
En 1929, la famille déménage à Lausanne. Enfant, il se plonge dans les ouvrages de la bibliothèque familiale, où il découvre certains textes d'Alexandra David-Néel qui le fascinent, ainsi que les atlas géographiques et historiques auxquels il vouera une passion durant toute sa vie. Ces ouvrages et l'attirance pour A. David-Néel nourriront son goût pour l'orientalisme. Côté scolaire, il se montre brillant élève, ce qui lui vaut, en 1937, d'intégrer le « Collège classique cantonal », l'actuel Gymnase de la Cité. Il s'y distingue pratiquement dans toutes les branches.
En 1945, il entame des études de lettres classiques à l'Université de Lausanne: latin, grec, français, histoire. Parmi ses professeurs, l'helléniste André Bonnard fera sur lui une impression forte et durable. « C'était, dira Jacques May, un grand personnage. » Son goût pour l'orientalisme l'amène aussi à suivre en parallèle les cours du linguiste et orientaliste Constantin Regamey, qui l'initie au sanscrit. En 1949, il obtient sa « licence ès lettres classiques » (l'équivalent d'un master).
En 1949, Jacques May se rend à Paris, décidé à obtenir un « certificat en études indiennes » (ce sera chose faite en 1951). À la Sorbonne, à l’École pratique des hautes études (EPHE) et au Collège de France, il étudie le pāli, le sanscrit, et suit le programme des études indiennes et bouddhistes — c'est son intérêt pour Nâgârjuna qui le pousse à choisir la bouddhologie en option du certificat d'études indiennes. Il est l’élève de plusieurs grands noms de ces domaines : Marcelle Lalou, Jean Filliozat, Paul Mus, Paul Demiéville, ou encore Émile Benvéniste, Anne-Marie Esnoul, Louis Renou. Il fut aussi le condisciple de Bernard Frank et fréquentera André Bareau. À propos de cette période, Jacques May évoquait fréquemment ce qu’il appelait « l’âge d’or » de l’indologie française,.
Constantin Regamey l'encourage à se lancer dans l'apprentissage du chinois et du tibétain, afin de réaliser une thèse de doctorat sur le Prasannapadâ (« Les Paroles claires »), le commentaire de Chandrakîrti sur les Stances de Nâgârjuna. Les recherches pour sa thèse l'amènent à séjourner à la School of Oriental and African Studies (SOAS) de Londres. En 1956, il revient à Lausanne, et remet sa thèse à Constantin Regamey.
Afin d'assurer ses revenus, il prend un poste de bibliothécaire à la Bibliothèque cantonale de Lausanne, où il est responsable des thèses et des périodiques. Il occupe cette fonction jusqu'en 1961. En parallèle il revoit et corrige sa thèse, qu'il soutiendra en 1960 — et qui porte la marque de publication de 1959, bien qu'il se puisse qu'elle soit antidatée. Quoi qu'il en soit, le travail reçoit un accueil chaleureux et unanime. Dans sa préface à la thèse, Paul Demiéville salue ainsi « (...) une traduction précise, rigoureuse et élégante, de près d'une moitié des aphorismes de Nâgârjuna et de leur commentaire par Chandrakîrti. (...) [L]’introduction apporte du système de l’école du Milieu un exposé qui me paraît être, en sa brièveté, peut-être le meilleur qu’on ait donné à ce jour, tant par la clarté de l’expression que par la finesse nuancée de l’analyse. »
En février 1961, Jacques May démissionne de son poste de bibliothécaire pour se rendre au Japon (il y restera sept ans), à Kyôto, et se consacrer à un projet de recherche que lui a attribué le Fonds national suisse de la recherche scientifique. C'est alors qu'il commence sérieusement l'étude du japonais (qu'il avait abordé lors d'un second séjour à la SOAS, en 1960). Paul Demiéville l'invite à collaborer au Hôbôgirin, Dictionnaire encyclopédique du bouddhisme d’après les sources chinoises et japonaise, fondé en 1926 par Sylvain Lévi et Takakusu Junjiro.
Il travaille également à l'université de Kyôto, où il est privat-docent de sanscrit et de tibétain dès 1962. Il est nommé collaborateur du Centre national français de la recherche scientifique (1962-1965), puis membre de l’École française d'Extrême-Orient (1965-1968). Il assure la publication du volume IV du Hôbôgirin (1962-1965) — où il signe ou cosigne dix-sept articles — avant d'être nommé, en 1966, rédacteur en chef du dictionnaire. Il publie alors le tome V (qui ne paraîtra finalement qu'en 1979, l'année même du décès de Paul Demiéville) avec cinq articles, seul ou en collaboration, dont deux consacrés au madhyamaka. En 1979, il quitte la rédaction en chef, mais il aura entre-temps supervisé plusieurs articles qui paraîtront dans le numéro VI, en 1983.
En 1968, au terme de son contrat, il rejoint la Faculté des Lettres de l’Université de Lausanne pour occuper une chaire de professeur extraordinaire de philologie bouddhique, créée ad personam. En 1976, il est nommé professeur ordinaire et il occupera ce poste jusqu’à sa retraite en 1992. Il enseigne le bouddhisme, donne des cours d'introduction au sanskrit, pâli, chinois bouddhique et tibétain à la Section des langues et civilisations orientales, et des enseignements sur la philosophie de Nâgârjuna et du madhyamaka,. Il dispense ainsi des enseignements sur l’Abhidharmakośa de Vasubandhu, les sûtra du Mahayana, la vie du Bouddha, et des lectures de textes sanskrits comme le Vajracchedikā Prajñāpāramitā (« Sûtra du Diamant ») et le Saddharmapuṇḍarīka Sūtra (« Sûtra du Lotus »).
Parallèlement, il poursuit recherches et publications sur Nagarjuna et sur le madhyamaka, et tout particulièrement sur le Catuḥśataka (« les quatre cents versets ») d'Âryadeva. Il consacre une série de cinq articles à « Âryadeva et Candrakîrti sur la permanence ». Dans ce travail, Jacques May « (...) traduit, du tibétain qu’il édite, le Catuḥśataka d’Āryadeva et sa Ṭīkā [commentaire] (...) par Candrakīrti. Ce cycle d’articles, qui reflète un [auteur] au firmament de son érudition et de son autorité, pleinement maître de son style, peut être tenu pour son dernier travail de grande ampleur. »
Ces années sont aussi marquées par les efforts et les démarches de Jacques May pour asseoir au sein de l'université la Section des langues et civilisations orientales et en assurer le développement, de manière à faire de l'Université de Lausanne un centre d'excellence de philologie bouddhique. Une tâche qui s'avéra difficile et très prenante, mais au moment de prendre sa retraite, Jacques May se félicitera que « [cette section] constitue maintenant un centre d'importance internationale reconnue [sic] pour les études indiennes et bouddhiques. » D'autre part, en 1972, il rejoint le comité éditorial de la revue Études asiatiques - Asiatische Studien, responsabilité qu'il assumera jusqu'à la fin 2010.
Plusieurs de ses élèves font carrière dans la recherche et l'enseignement sur le bouddhisme, en Suisse et à l'étranger. On peut mentionner en particulier Tom Tillemans et Cristina Scherrer-Schaub (Université de Lausanne), Jérôme Ducor (Universités de Genève et Lausanne), Michel Mohr (Université de Hawaï à Mānoa), , Katsumi Mimaki (Université de Tôkyô), Vincent Eltschinger (École Pratique des Hautes Études).
En 1992, l'Université de Lausanne le fait professeur honoraire. La même année, un volume de mélanges lui est offert, auquel participent de nombreuses figures de l'indianisme et des études bouddhiques.
En 1994, Jacques May épouse à Séoul sa disciple coréenne, Hyung-hi Kim (1949-), dont le père, Seung-kwon, fut l'initiateur de l’étude de la philosophie indienne en Corée. Désireux de réellement prendre sa retraite, Jacques May ne publiera plus après avoir quitté l’université. En revanche, il continue à suivre la thèse de doctorat de son épouse (La carrière du Bodhisattva dans l'Avataṃsaka-sūtra : matériaux pour l'étude de l'Avataṃsaka-sūtra et ses commentaires chinois [Peter Lang, 2013]).
Jacques May était aussi un écrivain de talent, ce dont témoignent ses traductions,. C'était un homme de vaste culture, fin connaisseur de la littérature du xviiie siècle français et de celle de la fin du XIXe (en particulier de Mallarmé).
Jacques May est mort le 22 mars 2018,.
Le bouddhologue Frédéric Girard relève que Jacques May « a ouvert de nouveaux chemins de recherche sur le Mâdhyamika ». Durant toute sa carrière il est sans cesse revenu sur la littérature de la Prajnaparamita, dont le Madhyaka est sans doute l’école la plus radicale. Et si sa production académique n’est pas abondante, elle est « de la plus haute qualité scientifique ». Cette qualité est due au nombre de langues bouddhiques que maîtrisait Jacques May et à sa parfaite connaissance du Canon bouddhique, à quoi s’ajoute la rigueur de son approche philologique. Ce sont là autant de qualités qui lui ont permis de proposer, qui plus est en philosophe, une interprétation de la pensée Madhyamaka – sur laquelle il est revenu dans plusieurs publications – « à la fois subtile et radicale. »
Jacques May a montré que le passages du sanskrit au chinois des Stances du milieu par excellence a « entraîné de subtils transferts sémantiques. » Il souligne ainsi que dans la stance XXIV,18, « clef de voûte de [l’ouvrage], » la traduction du mot « vacuité », śūnyatā par wu 無, « il n’y a rien », au lieu de kû 空, « vide » a peut-être été lourde de conséquences : « [cet] emploi dans un passage aussi capital n’a-t-il pas favorisé une interprétation nihiliste de la Vacuité et du Mâdhyamika,? » Or Jacques May se refuse à interpréter la vacuité comme un nihilisme, rejoignant ainsi l’interprétation qui prévaut en Asie. Et il écrit, dès 1958, dans son article « La philosophie bouddhique de la vacuité » : « le nirvâna, “extinction” : ce terme assez mystérieux, et dont l’interprétation a exercé la pensée bouddhique tout au long de son histoire, désigne l’état du monde et, dans le monde, du Bouddha lui-même, après l’Éveil (bodhi). »
Son grand œuvre aura été la traduction et le commentaire des chapitres laissés de côté par les précédents traducteurs du Commentaire limpide au Traité du Milieu de Candrakîrti. Il montre dans ce travail que le Madhyamaka construit une voie moyenne entre le réalisme et le nihilisme. Posant la question de savoir si Jacques May a résolu ainsi le problème de l’interprétation de la pensée profonde du Madhyamaka, André Bareau relève « [qu]’il serait évidemment téméraire de l’affirmer, mais [qu’]on peut reconnaître qu’il en a fourni l’une des solutions les plus élégantes et les plus plausibles. » Tom Tillemans résume bien les principaux résultats de ce travail :
« Il nous semble que pour Jacques May la méthode Madhyamaka est essentiellement celle d'une dialectique qui procède sans cesse par dépassement (Aufhebung). Elle est rationnelle et porte sur les choses elles-mêmes, mais balaie, par d'impitoyables réductions à l'absurde, chaque tentative de formuler une thèse philosophique, qu'elle soit affirmative ou négative. Le Madhyamaka annule donc tout, sans exception. (…) Les choses, qui sont inconsistantes et même contradictoires, sont annulées, mais conservées uniquement à titre de moment dépassé.
Autre élément clef : le bouddhiste Madhyamaka n'a pas, lui-même, de position philosophique. May est formel sur ce point et rejette les nuances ou les affaiblissements de ce principe dans la littérature scolastique ultérieure. Le Madhyamaka "se contente de dégager le paralogisme dans les raisonnements d'autrui" (…) Il ne s'agit pas d'un simple agnosticisme. Le Madhyamaka ne peut pas avoir de position philosophique, car toute position s'annule.
Le Madhyamaka que nous présente Jacques May est donc un système sans aucun compromis, difficile et même déroutant pour ceux qui se sentent mal à l'aise dans un univers où les choses seraient non seulement insaisissables, mais contradictoires et constamment annulées. »
Jacques May a défendu l'ouverture à l'autre qu'apportent les études bouddhiques. Elles constituent à ses yeux « une école de décentrement et d'universalité » car « [elles] donnent accès à [un] univers [vaste] très différent du nôtre, et aux civilisations originales où le bouddhisme s'est développé, redressent les perspectives, remettent la civilisation occidentale à sa juste place, la confrontent avec l'autre, et sont ainsi une école privilégiée d'universalité. »
: document utilisé comme source pour la rédaction de cet article.
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