Anne-Geneviève de Bourbon, duchesse de Longueville, née à Vincennes le , morte le , est la seule fille d'Henri II de Bourbon, prince de Condé, et de son épouse Charlotte-Marguerite de Montmorency, et la sœur du Grand Condé et du prince de Conti. Elle joua un rôle important parmi les frondeurs durant la minorité de Louis XIV.
Elle naît dans la prison du château de Vincennes le , où sa mère a rejoint son père emprisonné pour s'être opposé au maréchal d'Ancre, le favori de Marie de Médicis, régente pendant la minorité de Louis XIII.
Anne Geneviève vit ses jeunes années à Paris auprès de sa mère avec son frère cadet Armand, alors que Louis reste auprès de son père à Bourges. Elle est éduquée strictement par les jésuites au couvent des Carmélites, rue Saint-Jacques à Paris, où elle manifeste un goût certain pour la littérature. Ses premières années sont assombries[réf. nécessaire] par l'exécution du cousin de sa mère, le comte François de Montmorency-Bouteville, pour s'être battu en duel en 1627, puis par celle d'Henri II, duc de Montmorency, le seul frère de sa mère, pour intrigue contre Richelieu en 1632.
Introduite dans la société en 1635, elle devint bientôt l'une des personnalités des salons, notamment auprès de Catherine de Vivonne, marquise de Rambouillet.
Fiancée officiellement, mais sans suite, dès l'âge de six mois à François, fils aîné de Charles, duc de Guise, son père envisage ensuite de la marier avec un neveu de Richelieu, Jean-Armand de Maillé. Le cardinal, satisfait d'un premier mariage entre sa nièce Claire-Clémence avec Louis de Condé (le Grand Condé), décline habilement l'honneur : « une demoiselle peut bien épouser un prince, mais une princesse ne doit pas épouser un simple gentilhomme ». En définitive, Anne-Geneviève épouse le un veuf du double de son âge, Henri II d’Orléans, duc de Longueville, gouverneur de Normandie depuis vingt-trois ans. Le duc représente un meilleur parti que le neveu-gentilhomme par son ascendance capétienne (il descend en effet en droite ligne masculine de Jean d'Orléans comte de Dunois et de Longueville fils naturel légitimé de Louis Ier d'Orléans et petit-fils du roi Charles V).
Après la mort de Richelieu et de Louis XIII, son père le prince de Condé devient le chef du Conseil de régence pendant la minorité de Louis XIV. Son frère aîné Louis remporte la bataille de Rocroi en 1643, décisive dans le basculement des forces dans les dernières années de la guerre de Trente Ans. La duchesse devient alors une interlocutrice politique importante.
Elle accouche le de son fils Jean-Louis, naissance qui la réconforte de la perte récente de sa fille aînée. En , elle rejoint son mari à Münster, où il a été envoyé l'année précédente par Mazarin comme négociateur pour mettre fin à la guerre de Trente Ans. Elle est accompagnée de sa belle-fille Marie, fille d'un premier mariage du duc, bien que les deux femmes ne s'apprécient guère. Anne Geneviève charme les diplomates de toutes nationalités qui négocient le traité de Westphalie et est célébrée comme la « déesse de la Paix et la Concorde ». Elle fait une incursion dans les Provinces-Unies où elle a l'occasion de rencontrer la célèbre érudite Anne-Marie de Schurman. La mort de son père Henri II au mois de décembre de la même année l'amène à anticiper son retour à Paris alors qu'elle est enceinte de son troisième enfant.
C'est à cette époque qu'elle devient la maîtresse du prince de Marcillac, futur duc de La Rochefoucauld et auteur des fameuses Maximes.
En 1648, associée à Gondi, elle pousse Armand de Bourbon-Conti son second frère, et son mari le duc Henri II de Longueville, à prendre le parti des parlementaires frondeurs et à s'enfermer dans Paris. Mais elle n'arrive pas à convaincre Condé de rallier le mouvement. Pendant cette période, toujours accompagnée de sa belle-fille, elle s'installe à l'Hôtel de Ville où elle accouche d'un fils, Charles-Paris, dont la paternité est officieusement attribuée à La Rochefoucauld.
La paix de Rueil ne la satisfait pas. Après l'arrestation le de Condé, de Conti et de son mari le duc de Longueville, la duchesse s'enfuit en Normandie, mais échoue dans sa tentative de soulever la province. Poursuivie par les troupes royales, elle parvient à rejoindre La Haye sur un vaisseau hollandais, puis de là Stenay où elle se réfugie auprès de Turenne en . Elle va rester un an à Stenay, négociant avec les Espagnols et poussant Turenne à se révolter contre le cardinal Mazarin. La chute de ce dernier au début de l'année 1651 est le résultat de l'alliance des deux frondes. Elle a conduit à la libération des princes, à la restitution des honneurs, mais aussi à des projets matrimoniaux, notamment entre Conti et Charlotte-Marie de Chevreuse, fille de la duchesse de Chevreuse. Anne-Geneviève use néanmoins de son influence sur ses frères Condé et Conti pour casser cette promesse.
À la fin de l'été 1651, la situation de Condé se dégrade, Il quitte Paris à la veille de la majorité de Louis XIV et rejoint la Gascogne accompagné de sa famille et ses partisans. C'est au cours du voyage que la duchesse de Longueville serait devenue la maîtresse du duc de Nemours. Le , Condé se dirige vers Paris laissant la garde de Bordeaux à Conti, Anne-Geneviève et sa femme Claire-Clémence. La ville où sévit le parti de l'Ormée est en état d'insurrection. De plus, des dissensions se produisent entre Conti et sa sœur. La ville se rend aux troupes royales en .
Abandonnée et en disgrâce à la cour, elle est assignée à résidence à Montreuil-Bellay puis à Moulins avant de rejoindre son mari en Normandie. Elle se tourne vers la religion, le jansénisme et la charité. Elle devient, jusqu'à sa mort, la protectrice de l'abbaye de Port-Royal des Champs, qui n'eut rien à craindre du pouvoir royal tant qu'elle fut en vie. Elle s'entretient avec Pascal, Racine, prend pour médecin le jeune Denis Dodart, tous jansénistes.
Elle meurt le à Paris, au couvent des Carmélites du faubourg Saint-Jacques. Elle est inhumée dans l'église Saint-Jacques-du-Haut-Pas. Dans les années 1850, ses ossements sont transférés aux catacombes de Paris.
Elle est l'aînée et la seule fille de Henri de Bourbon, prince de Condé et de Charlotte-Marguerite de Montmorency. Elle a deux frères :
Le , Anne Geneviève de Bourbon, sœur du grand Condé, épouse Henri d'Orléans, duc de Longueville, pair de France, Liste des ducs de Longueville. Ils eurent 4 enfants :
En tant que régente de Neuchâtel pour ses fils, Anne-Geneviève fut en lutte contre leur demi-sœur Marie de Nemours, issue du premier mariage du duc Henri II.
Madeleine de Scudéry a dédié à la duchesse de Longueville son roman Artamène ou le Grand Cyrus, dont on a pu faire un roman à clé. Clélie, histoire romaine sera quant à lui dédié à Mademoiselle de Longueville, belle-fille et rivale de la première.
Dans le premier, la personnalité de la duchesse serait reconnaissable dans le personnage de Mandane, d'après Victor Cousin.
Armand de Bourbon, prince de Conti, né le à Paris et mort le à Pézenas au château de la Grange-des-Prés, est le dernier des trois enfants d'Henri II de Bourbon, prince de Condé et de Charlotte Marguerite de Montmorency. Il est en outre le frère du « Grand Condé » et d'Anne Geneviève de Bourbon-Condé, duchesse de Longueville.
Le , l'enfant est tenu sur les fonts baptismaux de l'église Saint-Sulpice par sa tante Marie-Félicie des Ursins, duchesse de Montmorency, et Armand-Jean du Plessis, cardinal de Richelieu. Le titre de prince de Conti est établi en sa faveur en 1629.
De santé délicate, légèrement bossu, il est destiné par ses parents à l'état ecclésiastique et formé par les Jésuites au collège de Clermont. S'il fallait en croire Grimarest, le premier biographe de Molière, il y aurait eu pour condisciple le futur comédien, ce qui est peu probable, Jean-Baptiste Poquelin étant son aîné de presque huit ans. Dès le , il reçoit la commende de l'abbaye de Saint-Denis. L'année suivante, il est nommé abbé de Cluny, et recevra encore sept autres abbayes et cinq prieurés. Le , il obtient son diplôme de maître des arts et, en 1646, celui de bachelier en théologie de l'université de Bourges. À la mort de son père le prince de Condé, au cours de cette même année, il est soumis à la décision d'un conseil de famille qui décide de le maintenir un an de plus chez les Jésuites, à son grand déplaisir.
Au mois de , avec le mari de sa sœur, le duc de Longueville, et désireux d'obtenir le chapeau de cardinal, il prend parti pour la Fronde parlementaire, dont il devient le commandant des forces armées. Il est battu à Charenton le par son frère, le prince de Condé, resté fidèle à la Cour. Mais après la paix de Rueil, convaincu notamment par leur sœur, Condé se rallie à la Fronde, dès lors codirigée par Conti, Condé et Longueville. Le trio est arrêté au Palais-Royal le et emprisonné au château de Vincennes, puis au château de Marcoussis et enfin au fort du Havre.
Sa séparation d'avec sa sœur lui rend la captivité extrêmement difficile. Il tenta même d'entrer en contact avec elle par la magie[réf. nécessaire]. Au début de son emprisonnement, il est fort malade d'une blessure qu'il s'est faite à la tête volontairement. On disait que cet incident était arrivé en jetant un flambeau d'argent en l’air[réf. nécessaire]. Cette blessure est néanmoins de quelque utilité aux princes, à qui on ne peut, dès lors, refuser le secours des médecins et des chirurgiens, dont certains leur servent d'intermédiaires avec l'extérieur.
En 1651, devant la Fronde, Mazarin est obligé de s'exiler ; Conti est libéré le . Son frère, devenu incontournable dans la direction de l'État, l'empêche d'épouser Charlotte de Lorraine, fille de la duchesse de Chevreuse, ancienne confidente d'Anne d'Autriche et également grande conspiratrice. Réfugié à Bordeaux, dernière ville frondeuse, il capitule le et obtient l'autorisation de se retirer en Languedoc, à Pézenas dans son château de La Grange-des-Prés.
C'est à cette époque où, afin de distraire la petite cour qui l'avait suivi, il fait venir des comédiens et découvre donc la troupe de Molière, qu'il autorise à porter son nom. Amnistié quelques semaines plus tard et désireux de rentrer complètement en grâce, il manifeste le souhait d'épouser l'une des nièces de Mazarin - une scandaleuse mésalliance - et d'obtenir le gouvernement de Guyenne dont son frère Condé vient d'être déchu, ainsi que le commandement d'une armée. Sitôt rentré à Paris, il épouse donc le Anne-Marie Martinozzi.
Dès , il doit quitter Paris et sa femme pour prendre le commandement de l'armée qui envahit la Catalogne. Il ne retrouve son épouse dans le Languedoc que le , lorsqu'il vient ouvrir les États de Languedoc à Montpellier. Du printemps à l', il repart conduire les forces françaises en Espagne ; le il vient ouvrir la nouvelle session des États de Languedoc à Pézenas. Il passe une grande partie de l'année 1656 à Paris, souffrant d'une maladie vénérienne qu'il a probablement contractée à Montpellier à l' en suivant dans ses frasques libertines le comte d'Aubijoux, alors gouverneur de la ville.
C'est alors que, faisant suite à des entretiens avec Nicolas Pavillon, évêque janséniste d'Alet, entrepris dès 1655, il se « convertit », c'est-à-dire retourne vers une foi ardente et intransigeante. Il se prête alors à la pénitence et aux mortifications, renonce à tous les plaisirs, fait savoir à la troupe de Molière qu'il ne veut plus qu'elle porte son nom (les comédiens étant alors tous excommuniés), et se rapproche bientôt de la Compagnie du Saint-Sacrement, tout en tendant au jansénisme. Il a 27 ans.
Le , il est nommé par le roi Grand maître de France. Il reçoit le commandement de l'armée d'Italie et assiège sans succès la ville d'Alexandrie en . Le , Louis XIV lui accorde une pension annuelle de 60 000 livres et lui offre le gouvernement du Languedoc, laissé vacant par la mort de Gaston d'Orléans, oncle du roi.
Il participe à partir de cette date à des actions dans le cadre de la Compagnie du Saint-Sacrement en multipliant les œuvres pies, en fondant des collèges, en œuvrant à la conversion des protestants. Il s'efforce également de moraliser la population tout en s'attelant à réduire son fardeau fiscal. L'administration de sa province, accomplie avec justice et sagesse, lui vaut une grande popularité auprès de ses coreligionnaires. Après sa conversion, il compose un Traité de la comédie et des spectacles (1666) dans lequel il condamne les tragédies de Corneille et les comédies de Molière. Il est également l'auteur d'un ouvrage intitulé Les Devoirs des Grands (1666). Il est alors installé au château de la Grange-des-Prés, à Pézenas, et se consacre à l'étude et au mysticisme jusqu'à sa mort, qui survient le 21 février 1666. Il est inhumé à la chartreuse du-Val-de-Bénédiction à Villeneuve-lès-Avignon.
Son tombeau est profané à la Révolution ; ses ossements sont transférés dans la crypte de l'oratoire de Port-Royal des Champs, abbaye symbole du jansénisme, en 1906.
Armand de Bourbon-Conti et Anne-Marie Martinozzi ont pour enfants :
La maison capétienne de Bourbon-Condé est une branche cadette de la maison de Bourbon.
Elle est fondée par Louis Ier (1530-1569), prince de Condé et prince du sang en 1546, cinquième fils de Charles IV, duc de Vendôme et aîné de la maison de Bourbon. Le prince Louis Ier était le frère d'Antoine, roi de Navarre et père du roi Henri IV. Cette maison s'éteint le , à la mort, au château de Saint-Leu, du prince Louis VI, prince de Condé et père du duc d’Enghien, mort sans enfant en 1804.
La maison de Condé a donné naissance en 1629 à la maison de Conti, issue d'Armand de Bourbon, prince de Conti, éteinte le à la mort de Louis-François-Joseph de Bourbon, prince de Conti, et à la maison de Soissons, issue de Charles de Bourbon, comte de Soissons, éteinte le , à la mort de Marie, comtesse de Soissons.
En tant que princes du sang issus de Louis Ier, petit-fils de France, duc de Bourbon, les membres de la maison de Condé ont le droit à la qualification d'altesse sérénissime puis d'altesse royale à partir du , sur décision du roi Charles X.
À partir du (titre crée officiellement en 1595), en tant qu'aînés des princes du sang, les princes de Condé portent le titre de premier prince du sang. Les princes de Condé auraient dû perdre ce titre le , à la naissance de Louis Ier, duc de Chartres, premier fils de Philippe d'Orléans, petit-fils de France. Toutefois, le roi Louis XIV décide de le leur laisser jusqu'à la mort du prince Henri III, le . En tant qu'aîné, il a le droit à l'appellation de « Monsieur le Prince » et son fils aîné, titré « duc d'Enghien », à celle de « Monsieur le Duc ».
La maison de Condé a porté les titres de noblesse suivants :
Cet arbre généalogique prend en compte les descendants légitimes du prince Louis Ier. Par ailleurs, les enfants nés hors mariage* et les descendants en ligne féminine ne sont pas considérés comme membres de la maison de Condé. Les aînés de la maison de Condé sont en gras. Les noms en italique sont ceux des membres par alliance de la maison de Condé.
Liste non exhaustive des possessions tenues en nom propre ou en fief de la maison de Condé :
Artamène ou le Grand Cyrus est un roman-fleuve et un roman à clef de Madeleine et Georges de Scudéry. Originellement publié entre 1649 et 1653, le roman est connu pour être le plus long roman français jamais écrit (13 095 pages dans l’édition originale et environ 2 100 000 mots),. De fait, bien que l'œuvre connût un succès considérable à l'époque, elle n'a plus été publiée après le XVIIe siècle en raison de sa longueur. Certains personnages sont inspirés de l'univers romanesque de la Fronde.
Les attributions les plus courantes sont :
Le roman se voit cependant offrir une nouvelle vie au début du XXIe siècle par la mise à disposition en ligne sur Internet de son texte intégral.
En France, les salons littéraires sont une forme de société qui réunit mondains et amateurs de beaux-arts et de bel esprit pour le plaisir de la conversation, des lectures publiques, des concerts et de la bonne chère. Si l’historiographie française a retenu les salons tenus par les grandes dames de la capitale appelées salonnières qui ont su asseoir leur réputation dans le monde, les chroniques du temps montrent que ces espaces de rencontre et de divertissement sont également tenus par des hommes (le baron d’Holbach, La Pouplinière) ou par des couples (Anne-Catherine de Ligniville Helvétius et Claude-Adrien Helvétius) auprès de qui les auteurs trouvent une place de choix. Les dames des Roches tiennent salon à Poitiers dès le XVIe siècle, mais l’on tient aussi cercle à la cour de Catherine de Médicis ou chez les derniers Valois. Au XVIIIe siècle, la protection et le soutien des grands contribuent au financement des divertissements et à l’échange des idées du siècle philosophique. L’expression de salon littéraire est l'expression d'un mythe littéraire né aux XIXe et XXe siècles. Antérieurement, diverses appellations en tiennent lieu : maison, cercle, société, académie, salon, bureau d'esprit, selon l'accent placé par le chroniqueur, l'historien ou le journaliste sur un aspect ou un autre de la rencontre où s'entremêlent gens du monde, beaux esprits et gens de mérite, car le vocabulaire du temps n'est pas fixé de manière stricte au XVIIIe siècle. Il s'agit d'une forme spécifiquement française de convivialité, imitée à divers degrés en Angleterre chez les Bas-bleus (Blue-stocking clubs) ou en Allemagne dans les salons de Berlin (Henriette et Marcus Herz), ce qui n'exclut pas que des formes locales d'assemblée s'épanouissent sous d'autres noms (assembly, society, club, Gesellschaft).
Derrière l’apparence légère de ces aristocrates, modernes et intellectuelles qui bousculent les conventions sociales de leur époque apparaissent des intellectuelles qui ouvrent aux plus grands esprits de leur temps leurs salons où se mêlent personnalités politiques, lettrés et scientifiques des deux sexes et de toutes conditions. Instruites et, la plupart du temps, écrivaines elles-mêmes, elles entretiennent une abondante correspondance avec tout ce que l’Europe d’alors pouvait compter d’esprits ouverts : la seule correspondance de Marie du Deffand compte, par exemple, 1 400 lettres. La plus célèbre de ces correspondances est celle de Madame de Sévigné. Ces réunions assez nombreuses d’esprits d’élite ou de personnes tenant à la « société polie », qui existèrent jusqu’au début du XIXe siècle, constituèrent autant de centres, de foyers littéraires dont la connaissance est indispensable pour saisir dans ses détails et ses nuances l’histoire de la littérature. Comme ces salons littéraires furent presque toujours présidés par des femmes, l’histoire des premiers ne peut s’envisager indépendamment des secondes. C’est dans le salon de ces femmes distinguées par l’esprit, le goût et le tact que s’est développée l’habitude de la conversation et qu’est né l’art de la causerie caractéristique de la société française. Ces salons où l’on s’entretenait des belles choses en général, et surtout des choses de l’esprit exercèrent une influence considérable sur les mœurs et la littérature.
Parmi les premiers salons littéraires sont souvent cités celui des dames Des Roches, Madeleine et Catherine sa fille, à Poitiers, ou encore celui de Madame de l'Aubespine près du Louvre et au château de Conflans.
Un des premiers salons littéraires parisiens fut aussi celui de l’hôtel de Rambouillet, dont la formation remonte à 1608 et dura jusqu’à la mort de son hôtesse, Catherine de Rambouillet, dite « Arthénice », en 1665,,. D’autres réunions moins célèbres, mais néanmoins dignes d’être citées, existèrent au XVIIe siècle, sans compter les divers lieux, où Précieux et Précieuses s’efforcèrent d’imiter l’hôtel de Rambouillet. « Né d'une transformation des mœurs, qui a suivi les guerres de Religion, ce mouvement a contribué, jusque dans ses exagérations, à créer l'ambiance grâce à laquelle la langue se fixera, l'analyse des sentiments s'aiguisera, l'influence littéraire de la bourgeoisie et surtout celle des femmes s'affirmeront », affirme Étienne Dennery.
Sous Louis XIII, on trouve le salon de Marie Bruneau des Loges, que ses admirateurs appelaient la dixième muse, et dont Conrart a dit : « Elle a été honorée, visitée et régalée de toutes les personnes les plus considérables, sans en excepter les plus grands princes et les princesses les plus illustres... Toutes les muses semblaient résider sous sa protection ou lui rendre hommage, et sa maison était une académie d’ordinaire. » Balzac et Malherbe fréquentèrent surtout cette maison et, parmi les grands personnages qui témoignèrent leur estime à Marie Bruneau des Loges, on remarqua le roi de Suède, le duc d’Orléans et le duc de Weimar. Malherbe fréquente aussi le salon de Charlotte des Ursins, rue des Vieux-Augustins à Paris.
Vers le milieu du XVIIe siècle, c’est le salon de Madeleine de Scudéry qui prit de l’importance. Les troubles des deux Frondes ayant dispersé en grande partie les habitués de l’hôtel de Rambouillet, cette écrivaine le reforma dans sa maison de la rue de Beauce, dans le Marais. Là vinrent Chapelain, Conrart, Pellisson, Ménage, Sarrasin, Isarn, Godeau, le duc de Montausier, la comtesse de La Suze, la marquise de Sablé, la marquise de Sévigné, madame de Cornuel, etc. Dans les réunions, qui avaient lieu le samedi, on tenait des conversations galantes et raffinées. On y lisait de petites pièces de vers ; on y discutait les mérites et les défauts des ouvrages parus récemment ; on y commentait longuement, et souvent avec une pointe de bel esprit, les choses de moindre valeur et de moindre importance. Durant ces conversations, les dames travaillaient aux ajustements de deux poupées qu’on nommait la grande et la petite Pandore, et qui étaient destinées à servir de modèles à la mode. Chacun des habitués eut un surnom, presque toujours tiré des romans : Conrart s’appelait « Théodamas » ; Pellisson, « Acanthe » ; Sarrasin, « Polyandre » ; Godeau, « le Mage de Sidon » ; Arragonais, « la princesse Philoxène », Madeleine de Scudéry, « Sapho ». Le plus fameux des samedis fut le 20 décembre 1653, qu’on appela la « journée des madrigaux » : Conrart avait offert, ce jour-là, un cachet en cristal avec un madrigal d’envoi à la maîtresse de la maison qui répondit par un autre madrigal, et les personnes présentes, se piquant d’émulation, improvisèrent à leur tour toute une série de madrigaux. C’est à une autre réunion du samedi que fut élaborée la carte de Tendre, transportée ensuite par Madeleine de Scudéry dans le roman de Clélie.
Une autre réunion se tenait chez la marquise de Sablé, quand elle se fut retirée au haut du faubourg Saint-Jacques pour habiter un appartement dépendant du monastère de Port-Royal. « Dans cette demi-retraite, dit Sainte-Beuve, qui avait un jour sur le couvent et une porte encore entrouverte sur le monde, cette ancienne amie de La Rochefoucauld, toujours active de pensée, et s’intéressant à tout, continua de réunir autour d’elle, jusqu’à l’année 1678, où elle mourut, les noms les plus distingués et les plus divers : d’anciens amis restés fidèles, qui venaient de bien loin, de la ville ou de la cour, pour la visiter ; des demi-solitaires, gens du monde comme elle, dont l’esprit n’avait fait que s’embellir et s’aiguiser dans la retraite ; des solitaires de profession, qu’elle arrachait par moments, à force d’obsession gracieuse, à leur vœu de silence. »
La comtesse de Verrue, ancienne favorite du duc Victor-Amédée II de Savoie, amie des lettres, des sciences et des arts, accueillit également chez elle, à l’hôtel d’Hauterive, une société choisie d’écrivains et de philosophes, notamment Voltaire, l’abbé Terrasson, Rothelin, le garde des sceaux Chauvelin, Jean-François Melon, Jean-Baptiste de Montullé, le marquis de Lassay et son fils Léon de Madaillan de Lesparre, comte de Lassay et bien d’autres qui vinrent se fixer près de chez elle.
Ninon de Lenclos tint également, dans sa vieillesse, un salon lorsque des femmes du monde et de la cour, comme Marguerite Hessein de La Sablière, Marie-Anne Mancini, Marie-Angélique de Coulanges, Anne-Marie Bigot de Cornuel, etc. vinrent se joindre au cercle de ses admirateurs. Françoise de Maintenon, à l’époque où elle était la femme de Scarron tint également un salon qui acquit une grande notoriété. Dans les salons des hôtels d’Albret et de Richelieu enfin, où se donnaient rendez-vous toutes les personnes de distinction, brillaient Madame de Sévigné, Madame de La Fayette et Marie-Angélique de Coulanges.
Dès le commencement du XVIIIe siècle, on trouve le salon de la duchesse du Maine ouvert dans son château de Sceaux où elle accueillait les écrivains et les artistes mais donnait également des fêtes de nuits costumées. Elle en fit, suivant la remarque d’un écrivain, le temple des galanteries délicates et des gracieuses frivolités ; c’était un piquant contraste avec ce château de Versailles où s’éteignaient les années moroses de Louis XIV à son déclin. Malézieu et l’abbé Genest présidaient aux divertissements littéraires que la duchesse offrait à ses habitués dont les plus fidèles composaient « l’ordre de la Mouche à miel », que des courtisans spirituels avaient imaginé en son honneur. Parmi les gens d’esprit que l’on voyait aux fêtes de Sceaux, se distinguaient, au premier rang, Fontenelle, La Motte Houdar et Chaulieu. La femme de chambre de la duchesse, Marguerite de Launay, future baronne de Staal, se fit bientôt remarquer et joua son rôle dans celle aimable société dans laquelle on pouvait également côtoyer Voltaire, Émilie du Châtelet, Marie du Deffand, Montesquieu, D’Alembert, le président Hénault, le futur cardinal de Bernis, Henri François d'Aguesseau, le poète Jean-Baptiste Rousseau, le dramaturge Antoine Houdar de La Motte, Sainte-Aulaire, l’abbé Mably, le cardinal de Polignac, Charles-Auguste de La Fare, l’helléniste André Dacier, l’abbé de Vertot, le comte de Caylus, etc.
Dans le même temps, le salon de la marquise de Lambert Anne-Thérèse de Marguenat de Courcelles, plus grave et fréquenté en partie par les mêmes écrivains, s’ouvrit en 1710 et ne se ferma qu’en 1733. La plupart de ses hôtes se réunirent alors dans le fameux salon de Mme de Tencin, qui brilla jusqu’à la mort de cette dernière en 1749. La marquise de Lambert recevait chaque mardi. « C’était, dit Fontenelle, la seule maison qui fût préservée de la maladie épidémique du jeu, la seule où l’on se trouvait pour se parler raisonnablement les uns les autres, avec esprit et selon l’occasion. » On y voyait surtout, avec Fontenelle et Houdar de La Motte, l’abbé Mongault, le géomètre Dortous de Mairan, l’abbé de Bragelonne et le président Hénault. C’est aux mardis de la marquise de Lambert que furent discutées, avant d’être livrées au public, les questions relatives à la supériorité des modernes sur les anciens, à l’inutilité des vers pour la poésie, à l’absurdité des personnifications mythologiques, aux entraves que des règles sans autre valeur que leur antiquité apportaient au libre jeu de l’intelligence : questions dont les critiques de l’époque firent le sujet de tant de polémiques.
Le salon de l’hôtel de Sully, qui s’ouvrit également dans la première partie du XVIIIe siècle, n’est pas moins digne d’attention par la manière dont il fut tenu et par les personnages qui s’y réunirent. « L’esprit, la naissance, le bon goût, les talents, dit le rédacteur du Journal des débats Jean-François Barrière, s’y donnaient rendez-vous. Jamais, à ce qu’il paraîtrait, société ne fut ni mieux choisie, ni plus variée ; le savoir s’y montrait sans pédantisme, et la liberté qu’autorisaient les mœurs y paraissait tempérée par les bienséances. » Les habitués de cet hôtel furent Chaulieu, Fontenelle, Caumartin, le comte d’Argenson, le président Hénault, puis Voltaire, le chevalier Ramsay, la marquise Marie Gigault de Bellefonds, la marquise Anne-Agnès de Flamarens, la duchesse Amélie de Boufflers, etc.
Parmi les nombreux salons littéraires qui furent ouverts à Paris au milieu du XVIIIe siècle et qui eurent une aura en Europe, il faut citer celui de la marquise Marie du Deffand,, dont la rare et solide raison qu’elle apportait dans les causeries et discussions auxquelles elle présidait était encouragée par Voltaire en ces termes : « Ce qui est beau et lumineux est votre élément ; ne craignez pas de faire la disserteuse, ne rougissez point de joindre aux grâces de votre personne la force de votre esprit ». Cette société se rassemblait, à partir de 1749 chez la marquise du Deffand, rue Saint-Dominique, dans l’ancien couvent des Filles de Saint-Joseph. Elle fut diminuée par sa brouille avec sa nièce naturelle, Julie de Lespinasse, qui lui servait de dame de compagnie car celle-ci entraîna avec elle la plupart des écrivains, et surtout les encyclopédistes, D’Alembert en tête, lorsqu’elle ouvrit, en 1764, son propre salon rue de Bellechasse où Madame de Luxembourg lui avait fait meubler un appartement. Trente à quarante personnes se réunissaient le soir chez elle, seulement pour causer, car elle avait un revenu trop modique pour leur donner à souper. Elle dirigeait la conversation, de façon que chacun eût son tour et son rôle.
Le salon de Marie-Thérèse Geoffrin, qui reprit la plupart des hôtes de celui de Mme de Tencin, eut moins de portée littéraire mais su acquérir également une aura en Europe. Elle voulut éviter l’imprévu dans la causerie, en mettant toujours en présence les mêmes personnes, et divisa les habitués de son salon en trois catégories. Étaient admis le soir les personnes de la haute noblesse et les étrangers de distinction. Ils pouvaient rester au souper, qui était très simple, tandis que le dîner, qui était au contraire somptueux, était le moment qu’elle recevait ses autres invités. Le lundi, elle recevait les artistes, peintres, sculpteurs, architectes ; le mercredi, les gens de lettres et les savants parmi lesquels on distinguait surtout Diderot, D’Alembert, Dortous de Mairan, Marmontel, Raynal, Saint-Lambert, Thomas, d’Holbach, le comte de Caylus, etc.
À côté de ces trois salons du XVIIIe siècle, il y avait encore ceux de Louise d'Épinay, de Jeanne-Françoise Quinault et de Marie-Anne Doublet. On voyait, dans le salon de Louise d’Épinay qui était restreint à un petit cercle de hommes de lettres et de philosophes les plus éclairés, le baron Grimm, Diderot et d’Holbach. Les réunions de ce qu’on appelait la Société du bout du banc, qui se tenaient chez l’actrice distinguée de la Comédie-Française, fort répandue dans le monde littéraire, Jeanne-Françoise Quinault, dite Quinault Cadette, comprenaient un grand nombre d’habitués, parmi lesquels on distinguait des hommes de lettres comme D’Alembert, Diderot, Duclos, Rousseau, Destouches, Marivaux, Caylus, Voltaire, Piron, Voisenon, Grimm, Lagrange-Chancel, Collé, Moncrif, Grimod de La Reynière, Crébillon fils, Saint-Lambert, Fagan de Lugny, l’abbé de La Marre, le chevalier Destouches et des hommes de pouvoir comme Maurepas, Honoré-Armand de Villars, le duc de Lauragais, le duc d’Orléans, le Grand Prieur d’Orléans, le marquis de Livry, Antoine de Ferriol de Pont-de-Veyle, etc. La conversation avait lieu surtout à table, au souper. Au milieu de la table était une écritoire dont chacun des convives se servait tour à tour pour écrire un impromptu. De là sortirent les recueils publiés sous les titres de Recueil de ces Messieurs et d’Étrennes de la Saint-Jean. Ces productions légères n’étaient que la moindre partie de ce qui occupait la Société du bout du banc. La philosophie tenait une large place dans ses repas où l’on émettait les idées les plus hardies sur les questions religieuses ou politiques jusqu’à ce que, la société devenue si nombreuse, les dîners durent se tenir dehors. Les philosophes en chassèrent les poètes, la gaieté s’évanouit, et la société fut dissoute.
Situé dans un appartement extérieur du couvent des Filles-Saint-Thomas, dont l’hôtesse, Marie-Anne Doublet, ne franchit pas une fois le seuil en l’espace de quarante ans ressemblait, par la situation qu’il occupait, à ceux de la marquise de Sablé et de la marquise du Deffand. C’est de la réunion de ce « bureau d’esprit », qui avait reçu le nom de « Paroisse », qui se tenait chez elle, que sortirent les célèbres nouvelles à la main et une grande partie des Mémoires secrets de Bachaumont. Il ne faut pas non plus oublier le salon de la marquise de Turpin, où se trouvaient Favart, Voisenon et Boufflers, et où l’on fonda l’« ordre de la Table ronde », qui produisit le petit recueil intitulé la Journée de l’amour.
Enfin, à la veille de la Révolution, on trouve encore le salon de Suzanne Curchod, épouse de Jacques Necker, où sa fille Germaine de Staël, alors enfant prodige, s’entretenait avec Grimm, Thomas, Raynal, Gibbon, Marmontel : et le salon de Anne-Catherine de Ligniville Helvétius, si connu sous le nom de « Société d’Auteuil », et qui rassemblait Condillac, d’Holbach, Turgot, Chamfort, Cabanis, Morellet, Destutt de Tracy, etc.
Contrairement à ce qu’a rapporté une certaine historiographie, jamais les cercles abusivement nommés salons — le mot n’apparaît qu’au XIXe siècle, entre autres sous la plume de la duchesse Laure Junot d’Abrantès —, et la sociabilité n’ont eu autant d’importance en France et en Europe qu’à la toute fin du XVIIIe siècle et dans les premières années du XIXe siècle. Il existe encore à cette époque plusieurs expressions pour désigner ce qu’on appellera plus tard « salons littéraires ». On parlait couramment en effet sous Louis XVI de « bureaux d’esprit » pour désigner une réunion à intervalles réguliers chez une dame du monde, et ses habitués forment sa « société ».
La sociabilité des temps pré-révolutionnaires et révolutionnaire s’articule autour de ces lieux d’influence dont la caractéristique commune, contrairement aux clubs et académies de jeu qui apparaissent avec les loges maçonniques, est de cantonner exclusivement dans la sphère privée. Selon les époques et surtout selon l’actualité, ces réunions qui ne sont pas accessibles au tout-venant et prennent une tonalité moins « littéraire » — si tant est que le salon « littéraire » stricto sensu ait jamais existé — que politique, plus ou moins — même si la littérature, le théâtre, le jeu, la peinture et la musique y occupèrent alors une place importante. Selon les cas, on est plus ou moins en faveur des philosophes, d’une nomination, d’une décision ministérielle, d’une pièce de théâtre à sous-entendus, d’un acteur ou d’une actrice à succès.
Calonne, Necker, Loménie de Brienne, Mademoiselle Clairon pour ne citer qu’eux, ont bien souvent, sous Louis XVI, été au centre de ces discussions de « salon ». Sénac de Meilhan ou l’abbé Morellet sont les contemporains qui ont peut-être le mieux envisagé cette dimension généralement escamotée. Chez Mme Grimod de La Reynière ou chez la marquise de Cassini, on colporte les nouvelles mais surtout, on intrigue pour faire ou défaire un homme en place, diminuer une influence, ruiner une réputation. Plus on se rapproche de la Révolution, plus les « salons » se radicalisent et se distinguent les uns des autres.
Dix ans avant la Révolution, le « bel esprit » a plus généralement laissé place aux joutes et affrontements politiques auxquels prennent part les auteurs (Chamfort, Rivarol, La Harpe, Beaumarchais, etc.). Entre 1784, date de l’ouverture des arcades du Palais-Royal puis, sous les trois premières législatures de la Révolution, les cercles ou « salons » font, en quelque sorte, écho aux clubs et académies, dont ils sont le prolongement, et ils sont aussi bien des lieux d’influence politique où s’élaborent divers projets dont certains trouveront une traduction législative.
Parmi ces lieux dont l’importance politique ne peut échapper, on distingue, selon ce qu’on met derrière les mots, les cercles « révolutionnaires » et « contre-révolutionnaires ». Les hôtes — la plupart sont auteurs —, reçus dans le salon d’Anne-Catherine de Ligniville Helvétius, à Auteuil,, ou de Fanny de Beauharnais, rue de Tournon, sont regardés comme « révolutionnaires », par opposition aux réunions organisées chez la duchesse de Polignac, la comtesse de Brionne ou la duchesse de Villeroy dont les habitués, politisés eux aussi, cherchent à saboter la réunion des États généraux. De « révolutionnaire » en 1789, le cercle de Mmes Charles-Malo de Lameth sera au fil des événements, bientôt perçu comme « contre-révolutionnaire » et si Robespierre y paraît régulièrement de 1789 à mai 1790, il s’abstient, après la scission des Jacobins et la création du club des feuillants.
Les écrivains hantent tous ces « salons » si importants pour l’histoire des idées, et toutes les sensibilités sont représentées. La littérature et le théâtre, libérés de l’envahissante censure d’Ancien Régime, sont sujets à discussions interminables. Sous l’Assemblée nationale législative, les salons à la mode sont ceux de Mmes Pastoret, place de la Révolution puis à Auteuil, dont Morellet parle longuement dans ses lettres, de Sophie de Condorcet, rue de Bourbon, de Germaine de Staël, alors maîtresse du ministre Narbonne, rue du Bac, de Manon Roland dite « l’égérie des Girondins », rue de La Harpe, de Julie Talma rue Chantereine. Au contraire, dans le salon de Mme de Montmorin, épouse du ministre des Affaires étrangères, où vient Rivarol qui en est un des piliers ou les rédacteurs du journal royaliste Les Actes des Apôtres, on cherche à débaucher les écrivains pour la « bonne cause ». Également chez Mme d’Eprémesnil rue Bertin-Poirée, ou se regroupent, depuis 1789, les membres de l’opposition parlementaire. On y voit Malouet, Montlosier, etc.
Malgré le danger qui commence à poindre, certaines dames ont un salon résolument monarchique, ainsi celui de la duchesse de Gramont, sœur de Choiseul, chez qui s’élaborent une infinité de plans contre-révolutionnaires, comme le financement de divers projets d’évasion de la famille royale. La littérature et le théâtre, surtout parce que les auteurs sont beaucoup plus engagés depuis la levée de la censure (1789), restent toujours largement au centre des discussions – les pièces de théâtre d’Antoine-Vincent Arnault, de Marie-Joseph Chénier, de Colin d’Harleville, ou d’Olympe de Gouges créent ou accompagnent les mouvements d’opinion depuis le début de la Révolution – et, contrairement à ce qui est souvent raconté il n’y a pas véritablement rupture mais continuité dans la grande tradition salonnière du XVIIe au XIXe siècle.
Après qu’on eut rétabli les droits de l’homme en abrogeant la loi des suspects, de très nombreux « salons » voient ou revoient le jour. Les principaux se tiennent chez Julie Talma, chez Sophie de Condorcet ou chez Laure Regnaud de Saint-Jean d’Angély, rue Charlot, où se pressent Madame de Chastenay et von Humboldt qui en parlent dans leurs écrits. Ces femmes cultivées ont, il est vrai, le don d’attirer chez elles les auteurs, les artistes et les comédiens de talent. Ces rassemblements sont les hauts lieux de l’intelligence et de la culture. Certains salons « muscadins » demeurent des hauts lieux de complot, ainsi chez Mme de Saint-Brice, dans le quartier du Sentier, où se réunissent les conjurés de thermidor an II — notamment Tallien —, ou celui de la comtesse d’Esparbès, ancienne maîtresse de Louis XV, chez qui viennent Richer de Sérizy et beaucoup de ceux qui seront poursuivis au lendemain du 18 fructidor an V. Un certain nombre de femmes, depuis la Révolution, font ce qu’on appelle les « honneurs » de salons qui sont les résidences d’hommes avec lesquels elles ne sont pas mariées. Ce sont souvent des lieux hautement politiques comme le « 50 » des arcades du Palais-Royal où le financier Aucane a établi une maison de jeu en même temps que salon tenu par Jeanne-Louise-Françoise de Sainte-Amaranthe, le cercle de Madame de Linières derrière laquelle se profile François Chabot, ou encore les appartements de Paul Barras que Catherine de Nyvenheim, duchesse de Brancas, son amie, métamorphose un temps en salon politique. Les salons où l’on joue de la musique, où l’on sert des repas raffinés, où l’on cause politique, théâtre et littérature sont extrêmement nombreux sous la Révolution, et, outre ceux cités plus haut, on citera encore ceux de la baronne de Burman, l’amie de Beaumarchais, de la marquise de Chambonnas où se réunissaient les collaborateurs de Actes des Apôtres, d’Adélaïde Robineau de Beaunoir, fille naturelle du ministre Bertin et femme de lettres, qui créa rue Traversière un cercle de jeu faisant office de salon où venaient les conventionnels Merlin et Cambacérès, de Madame de Beaufort qui recevait les députés en vue Delaunay d’Angers, Julien de Toulouse, Osselin et autres membres du premier comité de sûreté générale de 1793, rue Saint-Georges, ou enfin celui de Louise-Félicité de Kéralio qui afficha les couleurs républicaines.
À la fin du Directoire, Paris avait entièrement renoué avec les traditions de la conversation et de la causerie. L’un des plus célèbres des cercles littéraires et politiques fut celui de Germaine de Staël où, avec Benjamin Constant, vinrent fréquemment Lanjuinais, Boissy d’Anglas, Cabanis, Garat, Daunou, Destutt de Tracy, Chénier. Il y avait aussi les cercles philosophiques et littéraires d’Amélie Suard, de Sophie Lalive de Bellegarde dans lesquels dominaient les gens de lettres et les philosophes, continuateurs directs du XVIIIe siècle. Il y eut également les salons du monde, comme ceux d’Adélaïde Prévost, de la marquise de Pastoret, d’Adélaïde de Bastard-La Fitte, où se distinguait sa fille, Claire Élisabeth de Vergennes. Du point de vue littéraire, un salon des plus intéressants de cette époque fut celui que tint, rue Neuve-du-Luxembourg, Pauline de Beaumont, la fille du comte de Montmorin. Les habitués de ce salon étaient par exemple Chateaubriand, Joubert, Fontanes, Molé, Pasquier, Charles-Julien Lioult de Chênedollé, Philibert Guéneau de Mussy, Madame de Vintimille (1763-1831), née Louise Joséphine Angélique Lalive de Jully. Ce salon qui, dans un autre temps, aurait pu avoir de l’influence, ne subsista que de 1800 à 1803.
Dès l’annonce du Consulat à vie, les clivages politiques réapparurent avec force : salons royalistes contre salons bonapartistes. Après la rupture de la paix d'Amiens, Bonaparte fit arrêter puis déporter Mmes de Damas et de Champcenetz et d’autres dames du faubourg Saint-Germain dont les salons étaient des lieux d’activisme politique. Germaine de Staël et son amie Juliette Récamier eurent, elles aussi, à subir les conséquences de leur opposition frontale à « l’usurpateur ». Les épouses de ministres et d’autres dames dont les maris avaient solidarisé leurs intérêts avec le régime impérial, tendirent à renouer avec l’ancienne tradition, du moins jusqu’en 1814.
Les derniers des salons littéraires dignes de ce nom ont été ceux, sous la Restauration, de Juliette Récamier, et de Delphine de Girardin au salon régulièrement fréquenté, entre autres, par Théophile Gautier, Honoré de Balzac, Alfred de Musset, Victor Hugo, Laure Junot d’Abrantès, Marceline Desbordes-Valmore, Alphonse de Lamartine, Jules Janin, Jules Sandeau, Franz Liszt, Alexandre Dumas père, George Sand et Fortunée Hamelin.
Un des derniers grands salons littéraires de Paris a été celui de Virginie Ancelot à l’hôtel de La Rochefoucauld. Meilleure écrivaine que son mari, Jacques-François Ancelot, qui fut élu à l’Académie française en 1841, Virginie Ancelot sut accueillir dans son salon, de 1824 à sa mort en 1875 des personnalités littéraires, académiques et politiques : Pierre-Édouard Lémontey, Lacretelle, Alphonse Daudet, Baour-Lormian, Victor Hugo, Sophie Gay et sa fille Delphine de Girardin, le comte Henri Rochefort, Mélanie Waldor, la comédienne Rachel Félix, Jacques Babinet, Juliette Récamier, Anaïs Ségalas, François Guizot, Saint-Simon, Alfred de Musset, Stendhal, Chateaubriand, Alphonse de Lamartine, Alfred de Vigny, Prosper Mérimée, Delacroix, etc.
Marie d'Agoult, après sa sépartion avec Franz Liszt, tint salon , y réunissant des politiques républicains, mais aussi des personnalités de la presse libérale ou républicaine. Léon Gambetta était reçu au salon de Juliette Adam. Diane de Beausacq tint salon également. Il se dit que Pierre Loti obtint son élection à l'académie française à la fréquentation assidue de son salon comme à celui de Juliette Adam
Parlant, dans son discours de réception, de ces « femmes de l’Ancien Régime, reines des salons et, plus tôt, des « ruelles » qui inspiraient les écrivains, les régentaient parfois », Marguerite Yourcenar, première femme à être élue à l’Académie française trois siècles et demi après sa création, déclara : « Je suis tentée de m’effacer pour laisser passer leur ombre ».
Au cours du XXe siècle, l’histoire des salons connaît des tournants décisifs ; alors qu’ils sont au début du siècle à leur apogée – devant des lieux de mondanités artistiques incontournables – ils connaissent finalement un déclin dû aux bouleversements modernes du milieu littéraire et artistique.
De plus en plus, ils sont des lieux de vie littéraire où les réputations se font et se détériorent. Chaque salonnière a ses protégés, des artistes qu’elle invite, porte, défend et porte sur le devant de la scène. Ce sont des lieux où sont organisées de nombreuses lectures, des représentations. Certains artistes sont lancés par des salons, comme Marcel Proust dans le salon de Madeleine Lemaire. D’autres deviennent des personnalités mondaines importantes : Proust, toujours, Cocteau, etc. Pendant la période d’entre-deux guerres, le succès des salons, bien qu’atteint par les événements, subsiste. Ce succès ne résiste pas à la fébrilité des années folles, même s'il draine encore dans les appartements de salonnières quelques artistes.
C’est dès la fin de la Seconde Guerre mondiale et durant les décennies suivantes que ces salons connaissent un déclin évident. Bouleversés par des modes de divertissement différents – l’apparition de la télévision notamment – ils se font plus rares, avant de disparaître. Quelques tentatives, de personnalités ou de maisons de luxe, pour les faire renaître n'ont suscité pour l'instant qu'un intérêt ponctuel et limité.
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